Après notre visite des Alabama Hills et du camp de Manzanar, nous commençons réellement notre trajet vers Reno, dans le nord-ouest du Nevada. Nous empruntons la route US-395 qui remonte vers le Nord, derrière la chaine de la Sierra Nevada à travers les comptés californiens de Inyo et Mono. Si vous trouvez qu’il n’y a pas grand monde en Lozère, le département de France avec la plus faible densité de population (19 habitants/km2), il y a encore 10 à 20 fois moins d’habitants au kilomètre carré dans les régions qui nous avons traversées ce jour-là.
La vue sur la chaine de la Sierra Nevada est splendide et lors de ce trajet nous longeons bon nombre de parcs nationaux très connus (Sequoia, Kings Canyon, Yosemite). L’accès à ces parcs se fait plus couramment par la face Ouest de la chaine et les routes qui rares routes qui y mènent par la face Est sont encore en partie bloquées par la neige, car nous sommes encore au mois de mars. Et lorsque nous montons en altitude, nous traversons nous mêmes des zones enneigées.
Mono Lake
Compte tenu des montagnes environnantes, la région est géologiquement active et la dernière éruption volcanique a eu lieu à Mono Lake il y a 300 ans seulement. Cela explique la présence de sources géothermales à Mammoth Lake, dont l’énergie thermique est utilisée pour la production d’électricité. Un peu pressés par le temps, nous avons fait un court arrêt pour voir les formations calcaires de Mono Lake.
Le lac Mono est une relique d’un plus grand lac, le lac Russell, qui faisait partie d’un système hydrographique s’écoulant jusqu’à la Vallée de la Mort. La surface du lac Russell était à 2188 mètres d’altitude il y a 3-4 millions d’années et a perdu naturellement 232 mètres. À partir de 1941, le lac a été utilisé comme source d’eau pour la ville de Los Angeles, située à plusieurs centaines de kilomètres de là. Le pompage excessif de l’eau du lac a fortement impacté la hauteur de la surface du lac qui a baissé de près de 15 mètres en 40 ans. En 1994, l’état de Californie a décidé de changer les droits d’accès à l’eau de la ville de Los Angeles et depuis le lac à regagné trois mètres d’altitude. La baisse soudaine du niveau de l’eau du lac est bien visible au niveau des berges.
Le lac Mono est un lac d’eau salée, où la salinité est environ deux fois supérieure à celle de l’eau de mer. L’eau douce qui provient de sources situées au fond du lac apporte du calcium qui se combine avec les carbonates présents dans l’eau salée du lac et précipitent sous forme de calcaire. Ces tufs ce sont formés sous l’eau, mais la baisse récente du niveau du lac a révélé les colonnes calcaires que l’on voit aujourd’hui.
C’est la fin de nos vacances et nous avons 4.5 heures de route pour aller à Reno dans le Nord-Ouest du Nevada où je dois rejoindre des collègues et où Cyrus prend son avion le soir pour retourner à Germantown. La route qui suit la chaine de montagnes de la Sierra Nevada est magnifique. Nous commençons notre journée par un solide petit déjeuner à l’Alabama Hills Cafe and Bakery.
Accrochée au mur juste à côté de moi, nous découvrons la carte d’un parcours à suivre en voiture dans les Alabama Hills, juste derrière le café. Selon IMDB, 377 films ont été tournés dans ces collines, principalement des westerns dans les années 1920 à 1960, mais aussi plus récemment Django Unchained. Cela peut s’expliquer par la relative proximité des studios d’Hollywood à 3 heures de route des Alabama Hills. Peut-être reconnaitrez-vous ces blocs de granite sur fond de montagnes enneigées.
Manzanar
Notre second arrêt près de Lone Pine est un lieu sombre de l’histoire des États-Unis. Pendant la deuxième guerre mondiale, les japonais et descendants américains de famille japonaise ont été emprisonnés dans des camps de concentration tels que Manzanar. Il y a eu dix camps gérés par la WRA (war relocation authority). Après les attaques de Pearl Harbor (Hawaï) le 7 décembre 1941, le gouvernement américain prétexte des potentiels risques d’espionnage de la part des japonais pour les emprisonner, alors que le FBI n’avait établi aucune preuve de risque.
Plus de 110,000 personnes sont passées par ces camps d’internement, dont 11611 par Manzanar, plus de deux tiers d’entre elles étaient des citoyens américains, et plus de la moitié avait moins de 18 ans. Le camp de Manzanar s’étendait sur un mille carré (2.5 km2) et était constitué de 504 baraques organisées en 36 blocs. Quelques baraques ont été reconstituées pour servir aujourd’hui de musée et raconter l’histoire de ceux qui y ont été enfermés.
Les arrestations de japonais et de leurs descendants ont commencé début 1942. Certains ce sont même portés volontaires pour participer à la construction du camp, espérant un meilleur traitement pour leur familles. Fin mars 1942, mille prisonniers arrivèrent au camp alors que le lieu était à peine habitable, le système sanitaire n’était pas encore construit, le lieu était infesté de scorpions, et régulièrement balayé par des tempêtes pendant lesquelles la poussière s’infiltrait dans tous les bâtiments. En juin 1942, 9666 prisonniers avaient été amenés au camp, dont la construction était à peu près terminée. Les gens construisaient ce dont ils avaient besoin (tables, chaises) avec les moyen du bord et les morceaux de bois restant après la construction des baraques.
Bien que tous d’origine japonaise, la population du camp était très diverse. Les prisonniers venaient des villes et de la campagne, jeunes et vieux, riches et pauvres, vivant en familles ou seuls. La plupart n’avait jamais était au Japon, et certains ne parlaient que japonais. Pêcheurs de Terminal Island, médecins de Los Angeles, prêtres bouddhistes et nonnes catholiques, tous furent forcés de quitter leurs maisons et de vivre ensemble dans les baraques surpeuplées de Manzanar au milieu du désert. Plusieurs familles habitaient dans une même baraque et les toilettes et les douches étaient communes.
Les prisonniers ont peu à peu organisé leur vie sociale, il y avait des clubs de sport, de musique et de danse et il y avait même un journal du camp. Le camp avait une école où les enfants suivaient les enseignements en anglais avec le même programme que les autres écoles de Californie. Au départ l’école n’avait rien, ni tables, ni chaises, ni tableau, ni cahiers et crayons. C’était parfois difficile pour les enfants qui ne parlaient que japonais et certains cours sur l’organisation de la maison pour les plus petits et la citoyenneté et la démocratie pour les plus âgés n’avaient pas trop de sens pour une population privée de liberté sans procès et forcée à vivre collectivement.
La population du camp se divisait en trois catégories: les Issei, immigrants japonais de première génération et de nationalité japonaise (les Japonais ne pouvant pas être naturalisés américains avant 1952); les Nisei, les enfants des Issei, américains de naissance n’ayant souvent jamais été au Japon; et les Kibei, Nisei étant allés étudier au Japon et plus familiers avec la culture japonaise.
Le gouvernement américain souhaitaient une sorte d’auto-gestion dans le camp, et les responsables de bloc, qui avaient uniquement une fonction administrative, était élus par les habitants de leur bloc. Ils avaient pour rôle d’informer le directeur du camp des activités de leur bloc, de recevoir les réclamations et d’enquêter sur les rumeurs. Certains prisonniers questionnaient le fait qu’ils doivent gérer eux-même le camp dans lequel ils étaient enfermés de force par ce gouvernement et cela créait des tensions dans la population de certains blocs.
Le bureau du responsable de bloc fournissait les gens en ampoules, papier toilette, savons, balais et autres produits de nécessité. En avril 1942, le service postal fut mis en place, il était géré par les responsables de bloc et était essentiel pour garder le contact avec l’extérieur, communiquer avec les familles et trouver du travail à l’extérieur du camp, notamment dans les champs de betteraves à sucre. En septembre 1942, les internés reçurent des machines à coudre et les femmes s’organisèrent pour confectionner des rideaux et séparer un peu mieux les espaces de vie dans les baraques.
En août 1942, le directeur de camp interdit l’utilisation du japonais lors des réunions publiques, accroissant les tensions entre les Issei et les Nisei. En décembre 1942, une rébellion éclate, 2 personnes meurent, plusieurs sont blessées, et les instigateurs de la révolte sont dispersés dans d’autres camps. Cela entraina l’obligation de répondre à un questionnaire de loyauté et les postes de responsables de blocs auparavant gérés par des Issei deviennent gérés par les Nisei, qui avaient davantage la confiance des autorités américaines.
Les questionnaires de loyauté, mis en place en février 1943, interrogeaient les prisonniers sur leur volonté de s’engager dans l’armé (en tant que soldat pour les hommes et infirmières militaires pour les femmes) et leur volonté de renoncer à leur loyauté envers l’empereur du Japon, ce qui était un problème pour les Issei car, sauf exception, ils n’avaient pas la nationalité américaine. Les Issei ne pouvant pas s’engager dans l’armée américaine, ils étaient sensé aller travailler pour supporter l’effort de guerre, pour la fabrique de filets de camouflage dans le camp ou hors du camp dans les champs de betterave à sucre.
Répondre oui ou non à ces questions pouvait avoir des conséquences très importantes sur la vie des gens. Est-ce que les Issei qui répondent non seront renvoyés au Japon? Est-ce que les Issei qui répondent oui seront tout de même renvoyés au Japon où ils seront considérés comme traitres? Est-ce que les hommes Nissei doivent répondre non pour éviter l’armée ou est-ce qu’ils courent le risque de ne plus avoir les mêmes droits que les autres citoyens américains ou de voir leurs parents Issei déportés?
À partir de mai 1943, les prisonniers qui avaient répondu oui furent autorisés à partir. En automne 1943, les prisonniers qui avaient répondu non eurent la possibilité de changer leur réponse s’ils le souhaitent. Ceux qui ont maintenu leur réponse non furent transférés au camp de Tule Lake. En Juillet 1944, Roosevelt signa une loi permettant aux Kibei de renoncer à leur citoyenneté américaine et ils furent déportés au Japon. La plupart d’entre eux regagnèrent leur citoyenneté américaine par la suite.
C’est notre dernier jour dans la Vallée de la Mort, nous replions donc la tente et prenons congé de nos voisins de camping. Nous avons 170 km de route jusqu’à Lone Pine, de l’autre côté du parc, et encore quelques arrêts à notre programme. Nos visites des deux derniers jours ont presque vidé notre réservoir d’essence. Furnace Creek a une petite station essence, où nous rajoutons seulement quelques gallons au réservoir, car l’essence est à $10/gallon (environ 2.6€/L, soit deux fois plus qu’en dehors du parc)!
Route jusqu’à Stovepipe Wells
Mosaic canyon
Autre matinée, autre randonnée dans les canyons, cette fois nous avons choisi Mosaic Canyon au Sud de Stovepipe Wells. Encore une fois, nous prenons plaisir à suivre le lit d’une rivière asséchée et à observer les roches qui forment les murs du canyon. Cette fois le canyon est creusé dans des dolomites transformées en marbre par endroits.
Un cactus accroché à la falaise
Au cours de la montée, il y a quelques passages de semi-escalade à passer, et à un endroit, le canyon est bloqué par des éboulis infranchissables déposés lors de crues subites. Le chemin contourne la difficulté en passant plus haut sur un coté du canyon. À un moment, nous perdons le chemin, mais tout n’est pas perdu: nous découvrons un gros lézard qui prend le soleil.
Lézard (à peu près au centre de l’image)Mue de lézard plus haut dans le canyonCascade sèche, cette fois nous n’allons pas plus loin. Des francophones ont placé des galets sur le sol pour former le mot « FIN » 🙂Sortie du Mosaic Canyon
Traversée de la Panamint Valley
Nous voyageons vers l’Ouest et les vallées et chaines de montagnes sont orientées Nord-Sud. Nous enchainons donc les montées et les descentes au cours de la journée. Nous sortons de la Death Valley en franchissant la Panamint Range par le Towne Pass à 1511 mètres d’altitude, puis nous reperdons 1000 mètres de dénivelée dans la Panamint Valley, d’où nous apercevons le champ de dunes de Panamint, puis nous remontons vers 1500 mètres d’altitude pour franchir le Darwin Plateau, où nous nous arrêtons au point de vue Father Crowley.
Death ValleyDeath ValleyPanamint RangePanamint ValleyPanamint RangePanamint Valley et Darwin PlateauPanamint Dunes au fond de la valléeDarwin PlateauDarwin PlateauDarwin PlateauPanamint Valley
Father Crowley Vista Point
Ce lieu est nommé d’après un missionnaire John Crowley, « the padre of the desert », qui vécu de 1891 à 1940 et arpenta la région de la Vallée de la Mort. Ce point de vue surplombe la Panamint Valley et le Rainbow Canyon, aussi appelé Star Wars Canyon. En effet, plusieurs scènes de Star Wars ont été tournées dans le parc dont une dans ce canyon. Le canyon est également utilisé pour les entrainements militaires de basse altitude, un avion est passé lorsque nous étions le long de canyon, mais il est passé si vite qu’on a peine eu le temps de le voir, et encore moins de le prendre en photo.
Rainbow CanyonRainbow CanyonRainbow Canyon et Panamint ValleyRainbow Canyon et Panamint ValleyPanamint Valley et Telescope Peak
Sortie du parc
Joshua TreesUn dernier virage avant de se retrouver face à la Sierra NevadaSierra NevadaSierra Nevada et Owens Lake
Nous arrivons dans la petite ville de Lone Pine en milieu d’après-midi où nous nous installons au Dow Villa Motel. Nous passons le reste de l’après-midi à nous réorganiser pour la suite du voyage et nous finissons la journée devant un steak et un verre de vin au restaurant Seasons, que je recommande si vous passez par là.